XIX
Dans l’empire seldjoukide, du temps où il était le plus puissant de
l’univers, une femme osa prendre le pouvoir de ses mains nues. Assise
derrière sa tenture, elle déplaçait des armées d’un bord à l’autre de
l’Asie, nommait les rois et les vizirs, les gouverneurs et les cadis, dictait
des lettres au calife et dépêchait des émissaires auprès du maître
d’Alamout. À des émirs qui maugréaient en l’entendant donner des
ordres aux troupes, elle répondit : « Chez nous, ce sont les hommes qui
font la guerre, mais ce sont les femmes qui leur disent contre qui se
battre. »
Au harem du sultan, on la surnomme « la Chinoise ». Elle est née à
Samarcande, d’une famille originaire de Kashgar, et, comme son frère
aîné Nasr Khan, sa face ne révèle aucun mélange de sang, ni les traits
sémites des Arabes, ni les traits aryens des Persans.
Elle est, de beaucoup, la plus ancienne des femmes de Malikshah.
Quand elle l’a épousé, il n’avait que neuf ans, elle en avait onze.
Patiemment, elle a attendu qu’il mûrisse. Elle a frôlé le premier duvet de
sa barbe, surpris le premier sursaut de désir dans son corps, vu ses
membres s’étirer, ses muscles se gonfler, majestueuse baudruche qu’elle
a tôt fait d’apprivoiser. Jamais elle n’a cessé d’être la favorite, adulée,
courtisée, honorée, écoutée surtout. Et obéie. En fin de journée, au retour
d’une chasse au lion, d’un tournoi, d’une mêlée sanglante, d’une
tumultueuse assemblée d’émirs ou, pire, d’une pénible séance de travail
avec Nizam, Malikshah trouve la paix dans les bras de Terken. Il écarte
la soie fluide qui la recouvre, vient s’écraser contre sa peau, s’ébat, rugit,
conte ses exploits et ses lassitudes. La Chinoise enveloppe le fauve
échauffé, elle le couve, elle l’accueille en héros dans les plis de son corps,
elle le retient longtemps, elle l’enserre, elle ne le lâche que pour l’attirer à
nouveau ; il s’étale de tout son poids, conquérant essoufflé, haletant,
soumis, ensorcelé, elle sait le mener jusqu’au fond du plaisir.
Puis, doucement, ses doigts menus commencent à dessiner ses
sourcils, ses paupières, ses lèvres, les lobes de ses oreilles, les lignes de
son cou moite ; le fauve est affaissé, il ronronne, il s’engourdit, félin repu,