Supposons que l’on rencontre quelqu'un qui nous conseille d’acheter un
nouveau produit. Celui-ci effectue les fonctions et les nouvelles fonctionnalités
montrées dans l’annonce en TV. Est-ce que ce soutien pourrait contribuer à notre
décision d'achat ? Probablement.
Maintenant, supposons que nous apprenons que la personne travaille
pour l'entreprise qui vend le produit - ou a été payé par la société pour vanter le
produit. Voudrions-nous le savoir lorsque nous évaluons sa recommandation ?
Très probablement.
Depuis des siècles, les entrepreneurs essayent de persuader les
consommateurs afin que ces derniers achètent leurs produits ou leurs services.
Ils utilisent une infinité de moyens pour atteindre cet objectif. De plus, grâce au
développement de la technologie de l’information, les publicitaires sont capables
de faire parvenir leur message à un plus grand nombre de personnes et, par
conséquent, avoir un impact plus important
Le terme astroturfing a été utilisé pour la première fois en 1986 par
l’ancien Sénateur du Texas Lloyd Bentsen
1
quand il s’est prononcé sur les
intérêts de l’industrie des assurances : « Un cher citoyen du Texas connaît la
différence entre pelouse naturelle ou artificielle... ceci c’est du courriel généré par
le système ». Astroturf est une marque de revêtement synthétique conçu pour
1 Wade, A. (10 janvier 2010). Good and bad reviews: The ethical debate over astroturfing. The
Guardian. http://www.theguardian.com
Rodicio 4
faire ressemblance à la surface des terrains de jeu gazonnés
2
. Bentsen décrivait
dans sa phrase la pile de lettres de ladite industrie envoyée à son bureau.
En 1995, Stauber et Rampton
3
proposent une première définition
d’astroturf : « a grassroots program that involves the instant manufacturing of
public support for a point of view in which either uninformed activists are
recruited or means of deception are used to recruit them ». L’astroturfing
consiste pour l’entreprise à utiliser comme façades crédibles des tierces parties
qui viennent sur la place publique défendre sa position. Elle est utilisée pour des
campagnes de relations publiques en publicité ou en politique qui cherchent à
créer l’impression d’un comportement spontané ou d’une opinion populaire qui
ne l’est pas.
Bien que le terme ait été adopté récemment, cette pratique a une longue
histoire. Par exemple, au XVI siècle, dans le premier acte, deuxième scène de la
pièce de Shakespeare Julius Caesar
4
, Cassius écrit des fausses lettres de la part du
public pour convaincre Brutus d’assassiner Caesar. Ce que Cassius fait s’est
extrapolée à notre temps, avec des fines cette-fois-ci commerciales, mais menant
également à une pratique mortelle comme c’est le tabagisme. Entre les années
1994 et 1999, puisque des avocats en matière de santé commençaient à gagner
du pouvoir pour augmenter la taxe sur le tabac, ainsi que pour réguler la
consommation de cette drogue aux Etats-Unis, la NSA (National Smokers
Alliance) a commencé une agressive campagne de relations publiques pour
exagérer l’apparition de support pour les droits des fumeurs. Ladite organisation
2 Catellani, Libaert, Pierlot (2010)
3 Ibid.
4 Sager, R. (18 aôut 2009). Keep off the Astroturf. The New York Times
Rodicio 5
était composée par le géant du tabac Philip Morris, la firme de relations
publiques Burson-Marsteller et par d’autres groupes d’intérêt. Selon un article
du Journal of Health Communication, la NSA aurait réussi juste pour certaines
campagnes
5
.
2. TECHNIQUES D’ASTROTURFING
Les fronts groups, « groupes de façade », ont l’apparence d’une
organisation qui est au service de l’intérêt public, tandis qu’en réalité ils cachent
un sponsor les-soutenant financièrement. Très souvent, ces groupes font face au
consensus scientifique qui met en péril son activité commerciale en signalant des
points de vue d’ordre mineur ou en instillant des doutes parmi les
consommateurs.
C’est le cas de la société pétrolière et gazière américaine ExxonMobil
Corporation, qui ne niet pas l’existence des émissions à effet de serre, mais qui
n’est pas d’accord avec la théorie affirmant qu’elles sont provoquées par le CO2.
Le site web Exxonsecrets.org (crée par l’ONG Greenpeace), à travers des données
retrouvées dans les documents officiels de la société américaine
6
, donne une liste
de 124 organisations ayant été financées par la pétrolière ou qui ont travaillé
étroitement avec celles qui l’ont été. Celles-ci dénoncent la contrariété de la
science par rapport au réchauffement climatique, la division parmi les
scientifiques eux mêmes autour du sujet, la charlatanerie des défenseurs de
5 Givel, M. (2007). « Consent and Counter-Mobilization: The Case of The National Smokers
Alliance ». Journal of Health Communication
6 Monbiot, G. (19 septembre 2006). The denial industry. The Guardian.
http://www.theguardian.com
Rodicio 6
l’environnement ou encore le manque d’une action firme des gouvernements à
cause du danger que cela pourrait occasionner pour l’économie mondiale.
Parmi les organisations financées par Exxon se trouvent des sites-web et
des groupes de lobbying très reconnus comme TechCentralStation, the Cato
Institute ou encore the Heritage Foundation. Il y en a plusieurs ayant des noms
qui font croire qu’il s’agit des citoyens ou des organisations populaires comme
the Centre for the Study of Carbon Dioxide and Global Change, par exemple. Bien
que que tous ces groupes siègent aux Etats-Unis, leurs publications sont
consultées et citées et leurs employés interviewés partout dans le monde. Exxon
crée ainsi l’impression que le doute sur le réchauffement climatique est très
répandu.
Aussi, les bogus blogs ou flogs (blogs faussés) sont crées pour faire croire
que sa provenance est citoyenne, tandis qu’en réalité ce sont les entreprises
elles-mêmes qui sont derrière avec des fins politiques ou commerciales. C’est le
cas de Sony, Wal-Mart, L’Oréal, Google et des milliers d’autres compagnies bien
connues. En avril 2005, les Laboratoires Vichy
7
ont produit un flog nommé
« Journal de ma peau » afin de promouvoir son produit antifatigue Peel
Microabrasion. Le blog racontait l’expérience de Claire, une femme qui
supposément utilisait ce dernier et qui trouvait que sa peau avait amélioré grâce
à son utilisation. Claire était l’invention d’une agence de publicité qui, dû à la
grande quantité de plaintes, l’a remplacé par six femmes bloggeurs décrivant
leurs vraies histoires.
7 Plumer, R. (22 mai 2008). Will fake business blogs crash and burn? BBC News.
http://news.bbc.co.uk/
Rodicio 7
Une autre technique est l’usage de sockpuppets. Ici une personne crée
plusieurs identités en ligne pour faire croire qu’il y a un soutien citoyen
important. Celui-ci peut être fait à travers des commentaires positifs sur un
produit, aussi par des attaques aux personnes critiquant une organisation ou par
des critiques négatives à la concurrence. Par exemple, en 2009 à Montréal
l’agence de marketing Morrow Communications a crée un blog
8
avec des vidéos
et sa page Facebook pour promouvoir l’utilisation de vélos. En réalité c’était une
campagne pour lance un nouveau système de vélos publics dans la ville.
Aussi, le professeur d’histoire russe Orlando FIges
9
, sous plusieurs
fausses identités, a publié des commentaires sur Amazon critiquant les ouvrages
de ses rivaux et vantant en même temps les siens. Cela a été dénoncé par
l’experte russe Rachel Polonsky, qui a subi des critiques négatives, mais qui
finalement n’a pas réussi à faire condamner le professeur, car c’était sa femme
qui les a supposément écrites.
Un dernier exemple qui est très questionné est celui de la firme
pharmaceutique américaine Alexion
10
. En mai de cette année, en Belgique, elle a
organisé la médiatisation de patients du syndrome hémolytique et urémique via
la société de relations publiques G+ Europe. Le but de cette action était de faire
pression sur les pouvoirs publics afin qu’ils remboursent le médicament Solaris.
Selon une personne d’un familier affecté dudit syndrome « À aucun moment cette
entreprise ne nous a indiqué qu’elle travaillait pour Alexion ». Finalement le
8 Wade, A. (10 janvier 2010). Good and bad reviews: The ethical debate over astroturfing. The
Guardian. http://www.theguardian.com
9 ibíd.
10 Durand, Soumois, Jadoul (7 mai 2013). Le Soliris, qui permet de soigner le petit Viktor, sera
remboursé dès juillet. Le Soir. http://www.lesoir.be
Rodicio 8
Service Publique Fédéral belge a annoncé un accord avec la firme pour le
remboursement des coûts du médicament.
3. REGULATION DE L’ACTIVITE
Non seulement les entreprises utilisent ce type de pratiques déloyales,
mais des personnes individuelles ou des groupes politiques – pour citer quelques
exemples – y recourent également. Le personnel d’un hôtel qui publie des
commentaires favorables à leurs services sur des sites d'information tels que
TripAdvisor serait-t-il considéré aussi comme étant délictueux. Tous ces groupes
peuvent être tenus responsables et punis par la loi dans beaucoup de pays dans
monde. Néanmoins, d’après M. Phillip Carnell
11
, du cabinet juridique CMS
Cameron McKenna, les lois interdisant telles pratiques ne réussiront que dans
des cas très médiatisés qui dérangent beaucoup de gens.
Au fur et à mesure l’astroturfing commençait à se répandre et à se
développer sous des formats différents, certains gouvernements et entités
supranationales, dont l’UE, se sont aperçus de la déloyauté de cette pratique vis à
vis des consommateurs et ont commencé à la réguler afin de défendre leurs
intérêts.
Ainsi, aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) veille à
l’application du droit de la consommation et le contrôle des pratiques
commerciales anticoncurrentielle. Elle est une agence indépendante du
gouvernement et a été créée en 1914 par le Federal Trade Commission Act. En
11 Plumer, R. (22 mai 2008). Will fake business blogs crash and burn? BBC News.
http://news.bbc.co.uk/
Rodicio 9
1975 elle a publié « The Guide for the Use of Endorsements and Testimonials in
Advertising » de façon à ce que les publicistes se conforment à la loi. Elle
empêchait l’usage des méthodes et des pratiques déloyales affectant le
commerce. Ces guides offraient des définitions, des interprétations, ainsi que des
exemples exposant le point de vue de la FTC sur des actes de nature injuste qui
violeraient les principes de la Commission.
Vingt-quatre ans après la publication des Guides, en 2009, la FTC a publié
une version révisée pour mettre les soutiens et les témoignages publicitaires au
point. Cette dernière inclut des exemples d’application de la loi au contenu
généré par les utilisateurs. Cela se réfère à l’ensemble de médias dont le
contenu est principalement, soit produit soit directement influencé par les
utilisateurs finaux. Le terme devient populaire pendant 2005 et reflète le
développement des moyens de production audiovisuelle grâce aux nouvelles
technologies. Parmi ces derniers il y a la vidéo numérique, les blogs, le
podcasting, la téléphonie mobile, etc.
La FTC a donc élargi son domaine d’application au delà de la publicité
traditionnelle. Les règles de cette dernière ont commencé à être de même
utilisées pour les nouvelles technologies. La FTC s’est concentrée sur la
publication de connexions matérielles entre les publicistes et leurs tierces
parties. Selon les Guides, une connexion existe si elle peut affecter la crédibilité
du soutien publicitaire. Elle donne une liste d’exemples où la loi serait
d’application.
Rodicio 10
En Europe, la Directive 2005/29/EC
12
concernant les pratiques
commerciales déloyales vise à réduire les barrières du libre-échange au sein de
l’UE tout en assurant un haut niveau de protection des consommateurs. La
diversité des lois très différentes qui existaient déjà sur le sujet dans plusieurs
États Membres posait des problèmes. Cette Directive cherche donc à réduire
telles différences en même temps qu’elle établisse un niveau minimum de
protection du consommateur européen. L’idée requérait que les différents pays
appliquent des lois nationales suivant la Directive avant nommée. Ainsi, des pays
comme le Royaume Uni, l’Espagne ou la Belgique ont transposé les consignes de
cette Directive dans leurs propres systèmes juridiques nationaux.
Au chapitre 2, article 5 elle décrit deux catégories majeures de pratiques
commerciales déloyales : celles étant trompeuses et celles étant agressives.
Puisque l’astroturfing induit ou est susceptible d’induire en erreur le
consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement
correctes, il rentre dans la catégorie de pratiques trompeuses que la Directive
recueille dans son article 6. Cette pratique pourrait d’ailleurs amener au
consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise
autrement. Finalement, c’est au point (C) de ce dernier article que l’on peut
trouver de manière plus précise le cadre qui empêche la pratique du sujet de ce
travail au niveau Européen.
12 Directive Européenne relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des
consommateurs dans le marché intérieur, 11 mai 2005.
Rodicio 11
4. CONCLUSION
Comme cela a été mentionné lors de l’introduction, les entreprises se sont
toujours servies de beaucoup de méthodes de marketing et publicité pour
atteindre le maximum de cibles afin de promouvoir leurs produits et leurs
services. Néanmoins, c’est depuis le développement des technologies de
l’information qu’elles ont réussi à élargir d’autant plus son champ d’action. Si des
pratiques de commerce déloyales se pratiquaient déjà dans les médias
traditionnels, l’arrivée d’internet a signifié la multiplication des outils pour
réaliser des pratiques trompeuses comme l’astroturfing. Mise appart les sociétés,
l’on a vu que cette technique frauduleuse est également utilisée à niveau
individuel ou encore dans d’autres champs comme le politique.
Les entreprises tendent à se rapprocher du consommateur par le biais de
blogs ou de réseaux sociaux, mais l’on constate que ce rapprochement n’est
toujours pas 100% transparent. Etant donné que la loi protège toujours les
consommateurs pour que leur décision d’achat, entre autres choses, ne soit pas
influencée par des tierces parties qui pourraient être au service des compagnies,
beaucoup de pays ont créé ou actualisé des réglementations à ce propos. Malgré
ces efforts et l’existence de software comme Persona, parfois il reste très difficile
de déterminer la malhonnêteté d’un message. De plus et selon M. Carnell, le
résultat de risquer et mener à bien une pratique déloyale sans être pris est, dans
beaucoup de cas, très récompensant. Elle ajoute que le meilleur marketing est
celui dont on ne s’aperçoit pas.
Rodicio 12
5. BIBLIOGRAPHIE
www.theguardian.com
www.thenewyorktimes.com
www.lesoir.be
www.bbc.co.uk
www.wikipedia.org
www.ftc.org
www.law.ku.edu
ec.europa.eu
Catellani, Libaert, Pierlot (2010). Contredire l’entreprise
Givel, M. (2007). « Consent and Counter-Mobilization: The Case of The
National Smokers Alliance ». Journal of Health Communication