SECTION II
Lesdirigeantsdefait
48050...Fondement juridique
Si un dirigeant de fait peut être mis en cause au plan de
sa responsabilité, il convient cependant de remarquer que
les fondements de cette responsabilité n’apparaissent pas
toujours de manière évidente à la lecture des textes. Plus
précisément, si certaines dispositions du Code de com-
merce font directement référence, en matière de direction,
aux dirigeants de fait, d’autres sont muets. Ainsi, alors que
le droit des entreprises en difficultés pose le principe d’une
responsabilité du dirigeant de droit et de fait (C.com., art.
L. 651-2 et L. 652-1), lestextes du droit des sociétés sont,
en revanche, muets sur la responsabilité civile du dirigeant
de fait. Ce n’est en revanche pas le cas en matière pénale
puisque l’article L. 246-2 du Code du commerceprécise, à
propos des infractions communes aux diverses formes de
sociétés, que «les dispositions des articles L. 242-1 à L. 242-
29 et des articles L. 243-1, L. 243-2 et L. 246-1 visant le pré-
sident, les administrateurs ou les directeurs généraux de
sociétés anonymes et les gérants de sociétés en commandite
par actions seront applicables à toute personne qui, directe-
ment ou par personne interposée, a, en fait, exercé la direc-
tion, l’administration ou la gestion desdites sociétés sous le
couvert ou au lieu et place de leurs représentants légaux»
(voir aussi C.com., art. L. 241-9, L. 245-16 et L. 245-17,
al. 2). En matière de responsabilité civile des dirigeants de
sociétésin bonis, la jurisprudence refuse d’appliquer aux
dirigeants de fait les textes du droit des sociétés qui ne se
réfèrent pas expressément à ces même dirigeants (voir, en
ce sens,Cass. com., 6 oct. 1981, n
o
77-15.264, D. 1983, jur.,
p. 133, note Soinne B., JCP G 1982, II, n
o
19891, note
Notté G. ; Cass. com., 21 mars 1995, n
o
93-13.721, Bull. civ. IV,
n
o
98, Rev. sociétés 1995, p. 501, note Saintourens B., JCP G
1996, II, n
o
22603, note Reinhard Y. et Bon-Garcin I., Dr.
sociétés 1995, comm. 170, note Vidal D.). Il enrésulte que
seuls les textes du droit commun (C.civ., art. 1383)peu-
vent servir de fondement à la responsabilité civile de ces
dirigeants. Cette solution ne leur est d’ailleurs pas favora-
ble car la mise en œuvre du droit commun de la respon-
sabilité civile est plus aisée que l’application du régime
spécial de responsabilité civile fondé sur le droit des socié-
tés. Mais il est vrai aussi qu’en présence d’une société
solvable, l’intérêt est moindre d’atteindre le dirigeant de
fait.
48055...Définition de la notion de dirigeant
de fait
Bien que certains textes se réfèrent à la notion dediri-
geant de fait, aucune précision n’est donnée quant au
contenu de cette notion. S’inspirant de la doctrine, la juris-
prudence s’est attachée à en préciser les contours, définis-
sant le dirigeant de fait comme celui qui en toute souve-
raineté et indépendance exerce une activité positive de
gestion et de direction (Cass. com., 9 mai 1978, n
os
77-10.104
et 77-10.661, D. 1979, p. 419 ; Cass. com., 25 janv. 1994,
n
o
91-20.007, RJDA 1994, n
o
457 ; Cass. com., 23 juin 1982,
n
o
81-10.560 ; Cass. com., 15 déc. 1982, n
o
81-14.054 ; Cass.
com., 3 avr. 1984, n
o
83-11.464 ; Cass. com., 7 juill. 1987,
n
o
86-10.248 ; Cass. com., 23 nov. 1999, n
o
97-14.693, RJDA
2000, n
o
270 ; Cass. com., 26 juin 2001, n
o
98-20.115, Dr.
sociétés oct. 2001, comm. 140, obs. Legros J.-P. ; Cass. com.,
4 mars 2003, n
o
01-01.115, RJDA 2003, n
o
724 ;
Rives-Lange J.-L., La notion de dirigeant de fait au sens de
l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judi-
ciaire et la liquidation de biens, D. 1975, chr., p. 41 ;voir
aussi CADouai, 2
e
ch., sect. 2, 3 nov. 2005, JCP E 2006,
n
o
1406, note Delattre Ch. : «la notion de gérant de fait se
définit comme des faits précis de nature à caractériser une
immixtion dans la gestion se traduisant par une activité posi-
tive et indépendante, par le pouvoir d’engager la personne
morale ou encore une activité positive de direction en toute
indépendance. Cette gestion de fait peut être caractérisée
même si elle ne concerne qu’une partie de la gestion de la
personne morale. Elle ne doit cependant pas se résumer à
des faits limités ou isolés»). Il est important de préciser que
les juges du fond ne peuvent simplement constater une
direction de fait, la Cour de cassation exerçant un contrôle
de la motivation des décisions rendues en ce domaine
(Tricot D., Les critères de la gestion de fait, Dr. & patr. 1996,
n
o
34, p. 24 ; voir égalementCass. com., 8 oct. 1996,
n
o
94-19.397, Dr. sociétés nov. 1996, comm. 211, obs. Cha-
put Y. : une cour d’appel est censurée pour avoir qualifié
de dirigeant de fait l’épouse d’un dirigeant de SARL, en se
contentant de préciser qu’elle «secondait son mari, se com-
portait comme un gérant de fait, surveillait la comptabilité
et était consciente des marges insuffisantes» ; Cass. com.,
12 juill. 2005, n
o
02-19.860, Bull. civ. IV, n
o
169 ; voir, tou-
tefois,Cass. com., 10 mars 2004, n
o
00-17.577, RJDA 2004,
n
o
8, n
o
818 : «la qualification de gérant de fait constitue un
point de droit sur lequel l’aveu ne peut porter»). Néanmoins,
malgré ce contrôle, la notion dedirection de faitest très
variable selon les circonstances, ce qui, concrètement, peut
se traduire par des décisions de justice assez différentes
selon les juridictions saisies. Pour tenter de lever les incer-
titudes, il convient, pour convaincre le juge, de réunir un
faisceau d’indices concordants concernant les agissements
du dirigeant et les circonstances qui entourent cette direc-
tion. On ne saurait en tout cas se contenter d’affirmer que
l’intéressé s’est comporté en maître de l’affaire. Comme l’a
souligné excellemment un auteur, «la qualification de diri-
geant de fait est une qualification d’ensemble. Il se peut que
tel élément ne soit pas important dans un contexte, alors
qu’il l’est dans un autre» (Le Cannu P., Direction de fait et
contrat avec la société dirigée, Bull. Joly 1998, § 1, p. 5). La
qualité de dirigeant de fait n’étant pas présumée, le deman-
deur à l’action doit en rapporter la preuve par tous moyens
(Cass. com., 13 avr. 1970, n
o
68-10.816, Bull. civ. IV, n
o
118,
Bull. Joly 1970, p. 347).Plus précisément, il convient de
prouver que des actes positifs de gestion ont été accom-
plis de manière indépendante et avec régularité.
§1Lien nécessaire entre
un dirigeant et un dirigé
48060...Dirigeants visés
Le dirigeant de fait est une personne liée à une société
sans avoir été régulièrement désigné comme dirigeant de
droit. Il peut s’agir d’une personne physique ou d’une per-
sonne morale (Cass. com., 22 juin 1999, n
o
97-14.232, Lamy-
line).
De même, un ancien dirigeant de droit, ayant en prin-
cipe quitté ses fonctions mais qui, en fait, se comporte
encore comme un véritable dirigeant, peut être qualifié de
dirigeant de fait (Cass. com., 7 juill. 1998, n
o
96-15.425,
RJDA 1998, n
o
12, n
o
1394 :après avoir placé sa fille âgée
Les responsabilités professionnelles
Les dirigeants sociaux 480-50
Collection Lamy Droit civil - Lamy Droit de la responsabilité − © Lamy S.A. − Novembre 2006
EXTRAIT D'OUVRAGE