qu’il fesait consister principalement dans l’emploi d’une
argumentation captieuse et sophistique. Un jeune Sicilien, nommé
Tisias, se fît recevoir dans son école, jaloux d’étudier ces subtilités
oratoires au développement desquelles il consacra, dans la suite, un
ouvrage didactique plus étendu que celui de Corax. Il compta, en y
entrant, une certaine somme, et promit d’en remettre une autre
après avoir gagné la première affaire qu’il aurait à plaider.
Cependant, lorsque ses études furent terminées, au lieu d’aviser aux
moyens d’accomplir sa promesse, il affecta de ne se charger d’aucun
procès. Le maître, alors, pensant que la conduite de l’élève était un
parti pris d’éluder le paiement, le cita en justice, et l’attaqua par ce
dilemme où il avait ramassé toute la cause: «Jeune homme, tu n’es
pas moins insensé qu’ingrat de vouloir retenir mon salaire, car tu ne
saurais y réussir, soit que tu gagnes, soit que tu perdes: vainqueur,
tu paieras en vertu de notre convention, et vaincu, tu paieras encore
par arrêt du tribunal.»
Un pareil argument semblait sans réplique; mais le rusé Tisias
avait réponse à tout; il le rétorqua de cette manière: «Sage maître,
vous vous trompez. Il est évident que je ne serai obligé de payer
dans aucun cas, puisque, si je perds, la dette n’existera point d’après
notre accord, et, si je gagne, elle sera annulée par le jugement.» A
ces mots, la foule des curieux, que la renommée des deux plaideurs
avait attirés à l’audience, se récrièrent d’admiration, et les juges,
n’osant pas résoudre une question qui leur présentait un véritable
apore
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, prononcèrent pour toute sentence, Κακου Κόρακος Κακὀν
ῶον, de mauvais corbeau, mauvais œuf, par allusion au nom de
Corax qui, en grec, veut dire corbeau, peut-être aussi à celui de
Tisias signifiant qui paie ou qui punit; et ces paroles passèrent, dit-
on, en proverbe. Le proverbe était connu avant cette circonstance,
et les juges n’en firent que l’application. Il doit son origine à une
antique erreur populaire qu’Élien a prise pour une vérité. «Le
corbeau, dit cet auteur, dans son Histoire des animaux, est dévoré
par ses petits lorsque la vieillesse l’empêche de pourvoir à leur
subsistance, et c’est à cause de cet acte de voracité qu’on a dit: De
mauvais corbeau mauvais œuf, pour signifier des vices héréditaires.»