simplement la sensation, presque physique, de recevoir une volée de
coups; et je frissonnai dans toute ma moelle. Et, instantanément,
simultanément, je me dis: «Voilà l'amour... Il est nouveau pour moi,
déconcertant, terrible!» Et je ne fus pas du tout offensée du
caractère banal et maladroit qu'avait revêtu une déclaration adressée
à moi par M. Juillet. J'acceptais la formule, comme une jeune fille
accepte celle par quoi un monsieur qui va la demander en mariage,
se déclare...
Le regret qu'elle n'eût pas été autre ne me vint pas. Je fus, je le
confesse, toute heureuse et toute fière de l'avoir reçue. C'était
quelque chose d'extraordinaire et d'inouï, qui, enfin, venait!... C'était
cela... Que béni fût cela!...
Mais, en même temps, et d'une source étrangère à ma conscience,
mais non pas pourtant étrangère à moi, monta tout le long de mon
corps, m'environna, s'appliqua sur tous mes membres et sur mon
visage, avec l'exactitude d'un linge mouillé, quelque chose comme
une réplique de moi, quelque chose d'aussi moi que moi, et que,
cependant, je repoussais comme mon propre fantôme aperçu,
hostile, armé contre moi. Oh! cela n'avait rien de fantastique ni de
surnaturel; c'était une attitude qu'adoptait mon corps tout entier,
une attitude que je sentais saisie avidement par chacun de mes
membres, par chacun de mes traits, et une attitude en contradiction
flagrante avec mes sentiments véritables, une attitude de
catastrophe, de malheur public, une attitude d'appel désespéré à
toutes les énergies sociales et privées!... Je dus inspirer plus d'effroi
que je n'éprouvais moi-même de stupeur. Je me sentais comparable
à la chatte qui, de vivante caresse, se mue par un coup d'échine en
le plus horrifique des monstres.
M. Juillet, qui me regardait, prit, lui, la figure d'un homme qui vient
de commettre la plus irréparable bévue. L'impression fut courte et
définitive. Je vis tous ses traits se déchirer, ses yeux, si expressifs et
si beaux pour moi, se ternir, et la chair de ses joues, entre le nez et
la lisière de la barbe, comme un sable humide, miné par la main
d'un enfant, s'affaisser.